Ok Zoomer – Summer édition politique

#Passage de relais pour les influenceurs.

Été 2024, les nerfs de la France sont tendus. Malgré les élections législatives finies, les Français semblent plus que jamais dépourvus de repères, et pour cause, la France est en manque d’un leader politique qui fasse à minima la majorité, au mieux consensus. 

Bref, personne ne donne de CAP CLAIR. En fait les politiques se sont fait voler la vedette par des leaders d’opinion en tout genre : créateur.ices de contenus, célébrités, sportif.ves, etc. IL Y A UNE INVERSION DES RAPPORTS DE FORCE.

Aujourd’hui c’est Squeezie et TiboInShape qui ont pris le devant de la scène pour guider leur communauté en période d’élections. Le chef des Squeezos a invité son audience à aller voter et faire barrage au RN, pendant que Tibo ne s’est pas mouillé. Et ça a fait du bruit. Tu te dis peut-être qu’ils sont carrément sortis de leur ligne édito de Youtubeur, mais un leader d’opinion n’a pas besoin d’être un expert pour être perçu comme légitime et fiable, il peut tout simplement avoir de la notoriété, un certain statut ou bien du charisme.

Mais ce qui fait aujourd’hui que de nombreux influenceurs sont autant sinon plus écoutés que des politiques, c’est aussi en partie parce que les Français n’ont plus confiance dans leurs institutions politiques.

Source ? Le Baromètre de la Confiance Politique 2024 du CEVIPOF, rien que ça. Selon le rapport, 70 % des Français n’ont plus confiance en la politique, seulement 16 % font relativement confiance aux partis politiques et aux institutions, et 65 % considèrent que la démocratie ne fonctionne pas bien. Ces chiffres s’expliquent surtout par le sentiment d’abandon, de ne pas être écouté et considéré par les politiques, qui selon 81% des Français ne se préoccupent pas de ce qu’ils pensent.

À ça on peut rajouter une bonne couche d’affaires politiques (cc Sarko et Balkany), une petite crise sanitaire, un niveau d’inflation qui fait monter le sentiment de précarité, et un record de 49-3 bien sympa (non). En mélangeant bien et en laissant mariner quelques mandats, on obtient un beau 68 % des Français qui estiment que les élus sont plutôt corrompus, et une jolie montée des mouvements populistes.

Paradoxalement, l’étude relève une confiance dans les figures de proximité, et notamment la famille à 93% mais aussi les élus locaux comme les maires. C’est là qu’entrent en scène nos nouveaux leaders d’opinions. Ces artistes, sportif.ves ou influenceur.euses ont progressivement occupé ce vide laissé par les politiques pour construire des liens de confiance avec leurs audiences grâce aux réseaux sociaux. Ils sont présents dans de nombreux domaines : le gaming (Squeezie), la mode (LénaSituations), le sport (TiboInshape), la science (Thomas Pesquet), l’information (HugoDécrypte), bref tu les connais bien, ils peuplent le paysage médiatique et du divertissement. Non seulement on les connaît tous mais on les écoute plus souvent et plus attentivement que Gabriel Attal, par exemple.

On leur accorde davantage notre confiance parce qu’on a le sentiment de les connaître, d’être proches d’eux, et on a l’impression qu’ils ont une certaine indépendance et authenticité. Ils ont un méga capital sympathie, et ça fait des années que les gens leur font confiance pour des recommandations du quotidien (VPN, films & séries, jeux vidéos), donc finalement quand on ne sait plus qui croire ni pour qui voter, on est susceptible de suivre l’avis de ceux qui nous comprennent et nous divertissent au quotidien.

#Le coup de hache-tag.

Pour certains de ces influenceurs, la frontière entre le privé et l’intime est de plus en plus floue. Une vraie relation parasociale se crée entre les célébrités et leurs communautés, et cette relation dépasse de plus en plus la vie privée pour s’immiscer sur le terrain des idées. On cite pour exemple l’appel au boycott des stars muettes sur le conflit israélo palestinien, lancé sur TikTok avec le #Boycott2024.

Boycotter des influenceurs, c’est un moyen de faire pression. Oui, c’est un chouia obvious… Mais réduire la taille de leur audience, c’est surtout les priver de partenariats avec des marques, donc de revenus. Et là ça craint. 

Si ce phénomène a d’abord coûté cher aux stars américaines (Kim Kardashian, Beyoncé et The Rock pour ne citer qu’eux), il a fini par atteindre nos célébrités françaises. 

Le compte Instagram @Boycott2024_france, toujours actif à ce jour, s’est porté garant de cette nouvelle mission en dénonçant ouvertement les influenceurs et artistes n’ayant pas ou pas suffisamment pris parti dans le conflit israelo-palestinien. 

À en croire les commentaires sur le compte, beaucoup de Français estiment que l’influence doit rimer avec action. D’ailleurs, lors des élections législatives, le débat n’était plus de dire si oui ou non une personnalité publique devait donner son avis, mais plutôt de savoir quand elle allait le faire. 

Comme un effet de dominos, il a suffi qu’une ou deux célébrités prennent la parole pour que toutes les autres soient dans le viseur des internautes. 

Ici, pas de débat : fais-tu oui ou non barrage au Rassemblement National frérot ? 

Que ce soit via des tweets, des stories, des publications Instagram, des communiqués, des pétitions ou des sketchs si tu as de la notoriété, pas le choix, il faut se positionner.

Quand on voit l’ampleur que le phénomène peut prendre, on comprend pourquoi certains partis ont fait appel à des influenceurs pour les soutenir. Et par influenceur on parle de Maeva Ghennam les gars.

Et ça. Ça c’est assez flippant. On semble tous avoir oublié que derrière chaque follower se cache aussi un électeur. Même ceux de Maeva Ghennam. 

#The politician show must go on. 

Alors pour stopper l’hémorragie, il a fallu, pour les partis politiques, venir jouer sur le terrain de ces nouveaux leaders d’opinion. Ces dernières semaines particulièrement, ils ont démultiplié les prises de parole en reprenant presque à l’identique les codes de ces personnalités. Tout ceci pour mieux résonner auprès de la Gen Z et des millenials.
C’est le cas du Front Pop par exemple, qui a défrayé la chronique en se lançant dans l’ASMR. Concrètement, ils ont murmuré leur programme aux oreilles des auditeurs, dans un format censé assurer détente et relaxation (pour qui ça a fonctionné ???). 

Une stratégie de com par l’influence qui pousse aussi Jordan Bardella, dont le parti n’est pas vraiment pro droits des LGBTQ+, à mettre ses convictions de côté pour alimenter la trend autour du Bardatal (la prétendue histoire d’amour entre Attal et Bardella). Le candidat Renaissance ne s’est d’ailleurs pas retenu non plus de rebondir sur la trend pour gagner en capital sympathie.

Bref les politiciens, tous partis confondus, ont envahi TikTok à coup de clips humoristiques et de vidéos clash, privilégiant désormais des contenus trendy et react. Est-ce qu’on ne serait pas en train d’assister à une nouvelle era du politique-showman ? 

Car tous ces codes et images, ils les connaissent et ils en jouent. Mais ça pose plusieurs problèmes. 

  1. Une fausse impression de proximité. Jean Dutertre, consultant en communication politique sur les réseaux sociaux, souligne : « On est très loin de la transparence politique, mais plus dans une sorte de populisme des réseaux sociaux. En partageant ces moments, ces politiciens tentent de donner aux citoyens l’impression d’un accès privilégié, presque intime, au processus politique. » Attention donc, près des yeux ne veut pas dire près du cœur.
  2. Une érosion du débat politique. Sous couvert de “personnalité forte”, on voit des politiques qui ne savent plus se taire, même quand ils n’ont rien à dire. Et surtout, qui n’écoutent plus : le débat politique se transforme en un octogone de “qui aura le dernier mot ?”. Et franchement ça rend tous les débats insupp.
  3. Un évitement des sujets de fond. Derrière des contenus plus modernes et “pop”, les politiciens évitent soigneusement d’aborder sur les réseaux les sujets de fond et les questions qui fâchent. Et quand on sait que seuls 31 % des Français ont lu les programmes des candidats pour l’élection présidentielle de 2017, selon YouGov, on se dit quand même que si le pourcentage n’a pas augmenté depuis, pas mal d’infos doivent manquer aux gens  pour se créer une opinion autre que celle basée uniquement sur leurs prises de parole sur les réseaux.
  4. Seule l’image compte. On est entrés dans l’ère du politique-showman. Le politologue Clément Viktorovitch parle même de “destruction du langage” depuis l’arrivée au pouvoir de Macron et l’omniprésence de Marine Le Pen dans les débats, avec une victoire des symboles et représentations sur les arguments. (Là on pense très fort au retroussage de manches de Valérie Pécresse lors de la prise du siège LR par Ciotti). Une époque t’as peur.
  5. La vérité n’est plus un sujet. Toujours dans cette culture de la post-vérité, de nombreux politiciens ont eu recours à de fausses informations, organisées en des offensives redoutablement efficaces sur les réseaux sociaux. Par exemple, en utilisant l’IA pour générer des images sensationnalistes. Reconquête, le parti du Z, a d’ailleurs fait usage de l’IA pour promouvoir sa campagne lors des législatives, avec des représentations fictives de Macron.

Et en fait, au total, l’usage des ces codes, ça marche : les gens sont très sensibles à l’image que renvoie un politique quand il s’agit de voter. Le RN et Bardella l’ont particulièrement bien compris. Comme le montre l’auteur britannique Gavin Mortimer en décrivant le chef de file de l’extrême-droite : « Il est suave et bien habillé, conscient de l’importance de l’image pour l’électeur français moyen. »

Alors, si adapter son discours pour mieux s’adresser à un public a toujours été courant en politique et est ok, on se demande si, pendant les dernières élections, nous n’avons pas assisté à une véritable politique-showman.

Une nouvelle ère de com qui met le divertissement au premier plan, où, semble-t-il, la forme l’emporte sur le fond sans se soucier assez des enjeux que représente la démocratie en France et au-delà, en Europe.