Entre la condamnation de Le Pen pour détournement de fonds publics et le procès de Sarko toujours en cours pour « financement de campagne illicite », on pensait que la droite – et son extrême – avait touché le fond. Mais c’était sans compter sur Wauquiez.
Petit rappel du contexte : voilà quelques semaines que les deux candidats Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau s’affrontent dans la course à la présidence du parti Les Républicains. Pour combler le vide abyssal de son programme et tenter de se démarquer de son adversaire, Wauquiez s’est dit qu’il était grand temps de proposer une mesure choc. Et comme souvent à droite, lorsqu’il faut innover, piocher du côté de l’immigration est toujours une bonne idée ! Wauquiez a donc récemment proposé d’installer un centre de rétention pour « étrangers dangereux sous OQTF » à Saint-Pierre-et-Miquelon, une collectivité française d’Outre-mer située en dehors de l’espace Schengen.
Son argument en or massif ? « Il fait 5 degrés de moyenne pendant l’année, 146 jours de pluie et de neige. Je pense qu’assez rapidement, ça va amener tout le monde à réfléchir. »[1].
Que des propos aussi affligeants puissent être tenus par un représentant de la nation, agrégé d’histoire en plus, en dit long sur le cynisme de la surenchère sécuritaire. Car au-delà de leur caractère grotesque, ces propos soulèvent plusieurs problèmes majeurs :
_Déjà, ça stigmatise et criminalise les étrangers. Petit rappel utile : 5,5 % des OQTF sont prononcées au motif d’un « trouble à l’ordre public » et seulement 1,4 % sont liées à une condamnation pénale[2]. En réalité, la plupart des personnes sous OQTF le sont pour des motifs qui ne constituent pas une menace directe pour les citoyens : entrée illégale sur le territoire, contrat de travail non-valide, conjoint Français avec qui la vie commune a cessé, etc. Donc peut-être pas la peine de les parquer dans un centre à l’autre bout du monde non ?
_Et puis, ça creuse la fracture Métropole vs. Territoires d’Outre-Mer : proposer Saint-Pierre et Miquelon comme une sorte de bagne est non seulement méprisant pour ses habitants mais ça réactive en plus une logique coloniale, où les territoires ultramarins servaient de “décharges” pour les problèmes de la métropole.
La polémique – qui ne vole franchement pas très haut – aurait pu s’arrêter là mais la collectivité a choisi de répliquer en diffusant une campagne rebond qui transforme le badbuzz en opportunité pour valoriser l’archipel. Concrètement, la campagne print met en valeur les paysages sublimes de l’île, sa douceur de vivre, sa situation de plein emploi etc…avec, au centre, l’acronyme « OQTF » dont la signification est détournée. Ainsi, « OQTF » devient sur une des affiches : « On Quitte Tout Facilement pour venir vivre à Saint-Pierre-et-Miquelon ». Et, avec les Zoomers, on trouve que si l’exécution laisse à désirer, l’initiative est quand même maline :
- D’abord parce qu’elle discrédite les propos de Wauquiez. Rien de plus efficace qu’une pointe d’humour pour souligner le ridicule et l’absurdité de sa proposition.
- Et puis, rebondir c’est aussi une manière de reprendre le contrôle sur ce que Raphaël LLorca appelle la « souveraineté narrative », c’est-à-dire, la capacité qu’a un acteur à imposer son récit dans l’espace médiatique et symbolique. Ici, plus question de laisser Wauquiez dégrader l’image de ce territoire français, l’archipel reprend le pouvoir pour raconter ce qu’il est.
- Et surtout, cette campagne a remis Saint-Pierre-et-Miquelon sur la carte, alors que l’île était condamnée à l’anonymat. En s’emparant du badbuzz, la collectivité s’est offert une couverture médiatique XXL – de la presse quotidienne aux hebdos nationaux jusqu’aux journaux internationaux – pour un budget proche de zéro euro.
Donc si l’objectif était de faire connaître Saint-Pierre-et-Miquelon, le pari est réussi !
En revanche, si l’objectif était d’attirer de nouveaux habitants pour qu’ils s’y installent, c’est un peu un flop : les visuels semblent sortir tout droit de Google Images, certaines accroches peinent vraiment à convaincre et les bénéfices mis en avant comme : « ici l’école est proche, les classes sont petites et les parents respirent » ne font pas particulièrement rêver.
Bref, pour votre prochaine campagne n’hésitez pas à nous appeler ! On connait une agence qui regorge de talents capables de vous aider 😉