Je yappe, Tu yappes, Nous yappons

Le « yapping » (« blablatage » en français) est partout sur TikTok. Soit dans la bouche d’un chill guy qui a l’air d’avoir perdu à la loterie en se coltinent la yappeuse originelle, soit dans la bouche d’une yappeuse autoproclamée et complètement fière de l’être. Mais alors, yapper, ça veut dire quoi aujourd’hui ?

À l’origine, yapper vient du verbe japper (comme un chien, super), et aujourd’hui, il désigne le fait de parler excessivement, souvent de choses triviales. En gros, c’est faire un bon tunnel. Deux camps se forment et polarisent cette partie de TikTok de manière très genrée : les yappeuses (femmes) et les listeners (hommes). Rare est le contraire, malheureusement. Ce clivage illustre bien la profondeur du terme et ce qu’il véhicule.

Oui, on te voit venir… pourquoi les femmes yapperaient plus que les hommes ? En partie à cause de la fameuse charge mentale féminine. Ça paraît tiré par les cheveux ? Promis, pas tant. Si yapper sert à combler un silence perçu comme inconfortable, alors les femmes, souvent socialisées pour veiller au bien-être des autres, en feront un outil naturel. En bref : on préférerait être traitées de yappeuses que laisser un grand blanc s’installer pendant un date Hinge douteux qu’on regrette dès le premier regard. Alors ça yappe, forcément.

Et pourtant, ce besoin de remplir les silences est plutôt moqué. L’usage du terme yapping suggère un rapport de force implicite entre celle qui parle trop (la yappeuse) et celui qui prétend subir cette logorrhée (le listener). La figure de la yappeuse est tournée en dérision, tant par les listeners que par les yappeuses elles-mêmes. Cette stigmatisation pousse alors à une forme d’autocensure : beaucoup de femmes sur TikTok finissent par s’excuser de trop parler, se qualifiant elles-mêmes de « yappeuses » avant qu’on ne leur fasse le reproche. Une autodérision qui sert de bouclier contre la critique externe.

Mais au fond, pourquoi se moque-t-on autant des yappeuses alors que l’inverse — les silencieux — est rarement questionné ? On les trouve parfois ennuyeux, certes, mais on ne leur colle pas une étiquette de grands taiseux gênants. Pourtant, rester silencieux n’est pas neutre non plus : le mutisme est souvent valorisé chez les hommes comme une forme de maîtrise et de retenue, mais cette injonction à la discrétion a aussi ses effets. On sait que le silence émotionnel imposé aux hommes a des conséquences bien réelles — sans vouloir plomber l’ambiance — les taux de suicide masculins sont bien plus élevés, tout comme l’alcoolisme et les addictions en général.

Alors, peut-être qu’on gagnerait à revoir nos jugements : si yapper peut être une forme d’adaptation sociale, pourquoi ne pas en faire un outil de libération plutôt qu’un objet de moquerie ? Et si on cessait de voir la parole féminine comme excessive et le silence masculin comme une norme ?

Boys can yap too — et ça serait pour le mieux non ? 

 

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