À moins de vivre dans une cave, tu as très certainement entendu parler de l’affaire Judith Godrèche.
Pour rappel, l’actrice française a récemment accusé Benoît Jacquot – un grand réal français de 25 ans son aîné avec lequel elle a vécu alors qu’elle n’avait que 14 ans – « d’emprise » et a porté plainte début février pour « viols sur mineur par personne ayant autorité ».
Si cette affaire permet de braquer à nouveau les projecteurs sur les abus sexuels perpétrés dans l’industrie du cinéma (et sur les violences faites aux femmes d’une manière générale), elle révèle aussi comment la création, l’art et la fiction constituent des outils privilégiés pour prendre conscience d’un traumatisme.
Depuis ses 21 ans, Judith Godrèche a recours à ce mode d’expression pour parler de son passé douloureux que ce soit dans son livre Point de côté (1995), dans son film Toutes les filles pleurent (2010) ou dans sa très récente série French Icon of cinema (2023). Comme si le fait de créer permettait de mettre à distance le traumatisme pour mieux l’observer, comme s’il fallait qu’il s’incarne dans un objet fini pour mieux le comprendre. Et si c’est vrai pour Judith Godrèche, c’est vrai pour n’importe qui : la création est un mode d’expression à la portée de tous dont les bénéfices méritent d’être partagés tant ils sont d’utilité publique !
Oui, parce que la création permet de rompre le silence pour faire place au témoignage. En créant un objet fini, on laisse une trace de ce qui a été vécu (souvent de pire) dans l’espoir que ça soit entendu, débattu pour que les choses changent. Bon on entend déjà ceux qui nous diront qu’un.e victime d’agression sexuelle n’a pas forcément envie que sa création soit rendue publique. C’est vrai. Et ça peut tout à fait se comprendre. Mais avec les zouzous on maintient l’idée que même si ça reste strictement personnel, la création est quand même une manière de s’extraire de soi et de sa mémoire traumatique, de poser des mots ou des images sur des émotions souvent douloureuses, bref d’introduire de l’ordre dans le flou de ses souvenirs pour atteindre une sorte de soulagement. Rien que pour ça, on a envie d’essayer non ?
Et puis, la création c’est aussi ce qui va permettre de reprendre le pouvoir sur une narration jusqu’alors imposée par l’agresseur. C’est ce que fait Judith Godrèche d’ailleurs. Elle a recours à la même arme que son bourreau – le cinéma – pour imposer SA vérité : les films de Jacquot ne sont qu’un prétexte pour coucher en toute impunité avec des mineurs. L’inversion du discours permet de renverser le rapport de force, d’imposer un nouveau récit et de faire émerger des vérités.
Donc si toi aussi tu sens que des vérités sommeillent en toi et que tu as envie de te soulager mais sans savoir comment t’y prendre, n’ai pas peur de prendre un stylo, une caméra, un téléphone ou n’importe quoi pour créer. Peut-être qu’en regardant l’objet fini, en le soumettant à la discussion (si tu en as envie), tu y verras plus clair. Peut-être que tu éprouveras une forme d’apaisement et que – comme Judith Godrèche – ça te donnera la force de passer à l’action pour exiger de la justice une forme de réparation.