Deepfaker pour mieux régner

Le 9 février 2025 dernier, Emmanuel Macron a annoncé le sommet de l’Intelligence Artificielle qui se tenait à Paris. Comment ? Via un Reels Instagram parodique superposant un enchaînement de deepfakes le représentant, créés par des internautes. Exit la conférence de presse solennelle, place au snack content présidentiel pour percer l’algorithme. Et Bingo, 7,5 millions de vues au compteur.

Il fut un temps où, pour exister en politique, il fallait passer obligatoirement par les médias de masse, une interview radio au micro de la matinale la plus écoutée de France, une tribune dans un grand quotidien ou un passage au JT du 20h.

La désintermédiation permise par les réseaux sociaux numériques a redéfini la communication politique d’aujourd’hui. Désormais le politique peut exister dans le paysage médiatique en s’adressant directement à ses followers-citoyens et autres utilisateurs sans intermédiaires journalistiques et donc contradicteurs.

Afin d’être présent dans les flux des internautes dans un paysage médiatique rythmé par une économie de l’attention, le contenu doit être vu coute que coute. Peu importe si le message est simplifié, l’essentiel est qu’il circule, voire mieux qu’il devienne viral. C’est exactement cette logique que l’on observe ici : faire rire pour exister. Mais à quel prix ? En traitant un sujet aussi sérieux que l’IA sous le prisme du divertissement, on obtient un contenu parodié qui amuse, mais qui n’informe pas. Que retient-on de cette vidéo ? Un sommet sur l’IA à Paris où la France va investir massivement. Mais pas grand-chose de plus. Ajoutons à cela une ironie supplémentaire : ces deepfakes utilisés à des fins humoristiques sont précisément l’un des dangers majeurs posés par l’IA, alimentant fake news et complotisme, mais rien n’est dit à ce sujet (le comble). Loin d’être anecdotique, ce choix éditorial s’inscrit dans une tendance plus large de la culture du LOL qui s’impose comme nouvelle rhétorique politique. On troque les discours argumentés pour des discours émotionnels, rythmés par les trends TikTok, comme on peut le voir ici ou encore là. Un phénomène qui transperce la sphère des plateformes numériques jusque dans l’Assemblée Nationale. 

Une récente étude du CEPREMAP (Centre Pour la Recherche Économique et ses Applications) sur la Fièvre Parlementaire montre comment les débats à l’Assemblée se sont transformés en une véritable scène de spectacle où dominent la colère, la polarisation et les codes des réseaux sociaux. Un théâtre d’indignation et de punchlines, où les députés cherchent davantage à penser leurs discours pour alimenter leurs contenus TikTok que de les adresser aux députés de l’hémicycle. 

Alors oui ça désacralise le politique, ça le rend cool, plus accessible que jamais et en temps réel. Ça rapproche les citoyens du pouvoir, qui en sont historiquement éloignés. Mais passer pour le politique friendly peut cacher des idées pas oufs (coucou Bardella).

Alors on peut se demander si la rhétorique politique doit vraiment ressembler à ça (si on peut encore appeler ça rhétorique). Et bien, peut-être pas. 

Même si la politique a toujours été le théâtre de passions, on est convaincus que la sympathie d’une personnalité, ce qu’on nomme aussi le “personal branding” ne doit pas remplacer le fond des idées qu’elle porte (et encore plus aujourd’hui). Et si on arrêtait de voter pour un candidat parce qu’il est djeuns, sympa et qu’il fait des vidéos drôles sur Tiktok ? Et si on re donnait un peu de place aux idées ?

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